L’univers des chemins de fer en textes et en images, de jour ou de nuit, vu du sol ou depuis les airs

Rituels et uniformes : un regard sur les cheminots japonais

Le premier contact avec le Japon, sa culture et ses chemins de fer s’est déroulé en septembre 2023. J’ai eu l’occasion de capturer des moments uniques, en particulier les employés de différentes compagnies ferroviaires. Les images que je partage avec vous aujourd’hui proviennent de Tokyo, de sa grande banlieue, mais aussi d’Hokkaido. Vous allez découvrir un peu du quotidien des cheminots nippons. Elles et ils portent des uniformes impeccables et pratiquent des rituels de sécurité avec une précision presque chorégraphique. Tous ces éléments nourrissent et stimulent mon imagination de photographe. Chaque détail, chaque scène et chaque interaction devient une source d’inspiration.

Ce billet est dans la continuité de ceux que j’ai déjà publiés sur ce blogue. Vous avez pu découvrir les Shinkansen sous un angle artistique. Mon séjour d’une semaine à Hokkaido a fait l’objet d’un important texte en deux parties. Aujourd’hui, je me plonge cette fois-ci, je vous propose un exercice dans lequel je ne suis pas spécialement à l’aise ni doué : le facteur humain.

Certaines lignes régionales ne survivent que grâce à l’utilisation de matériel à agent seul. Le conducteur est alors l’unique cheminot à bord du train comme ici sur ce kiha40 prêt au départ en gare d’Abashiri.

Premières impressions

Dès mon arrivée, j’ai été frappé par la présence nombreuse et visible du personnel dans les gares et les trains. La situation contraste nettement avec celle que nous connaissons en France et en Europe, où la tendance est à la réduction des effectifs. Les cheminots japonais sont partout : sur les quais, à bord des trains. Ils aident les passagers et coordonnent les différentes opérations avec une efficacité impressionnante. L’exception notable se trouve sur certaines petites lignes rurales de l’île d’Hokkaido (menacées de fermeture), où les modestes autorails fonctionnent avec un seul agent — le conducteur — et les bâtiments voyageurs sont souvent déserts.

En tant que cheminot, j’ai observé chaque scène avec un œil attentif. J’ai essayé de décoder chaque geste et chaque interaction. Forcément, mon regard n’était pas neutre. Je détaillerai plus loin comment cela a influencé ma façon de prendre des photos. La présence constante de personnel en uniforme a rendu chaque image plus vivante et dynamique. Une touche humaine apparaît souvent dans mes clichés faits au Japon, même ceux à visée plus descriptive. La proportion de telles compositions s’avère nettement plus importante que lorsque je documente le monde des chemins de fer en France. Cette spécificité constitue l’une des caractéristiques les plus frappantes du paysage ferroviaire nippon.

Parmi les pratiques les plus inhabituelles que j’ai pu observer, le Shinsa Kanko se distingue particulièrement. Ce rituel de sécurité, réalisé avec une précision chorégraphique, offre un spectacle visuel captivant. Les cheminots, en uniformes impeccables, exécutent des gestes soigneusement orchestrés. Intégrer cette façon de travailler était incontournable et j’ai tenté au mieux de mettre ces pratiques en images.

La technique du Shinsa Kanko

Dans l’effervescence des trains japonais, une scène quotidienne se déroule souvent inaperçue par les voyageurs. Les cheminots, avec leur uniforme impeccable, exécutent des gestes et des vocalisations qui pourraient sembler étranges pour les non-initiés. Mais derrière ce rituel se cache une pratique bien étudiée : le Shinsa Kanko, qui peut se traduire par « pointage et appel ».

Le Shinsa Kanko est une technique de prévention des erreurs qui remonte à plus de cent ans dans l’histoire ferroviaire japonaise. Son origine précise est sujette à débat. Une histoire la trace au début des années 1900 et à un conducteur de train à vapeur nommé Yasoichi Hori, qui perdait la vue. Inquiet de passer un signal par erreur, Hori a commencé à annoncer à haute voix l’état des signaux au chauffeur qui l’accompagnait. Le chauffeur confirmait en répondant à haute voix. Un observateur a décidé que c’était un excellent moyen de réduire les erreurs et, en 1913, cela a été codifié dans un manuel ferroviaire sous le nom de kanko oto (« appel et réponse »). Le geste de pointage est venu plus tard, probablement après 1925.

Cette technique consiste à pointer du doigt et à acquitter oralement chaque étape critique de la tâche à accomplir. Pour donner un exemple avec des appels en anglais, disons que votre tâche est de vous assurer qu’une vanne est ouverte. Vous regardez directement la vanne et confirmez qu’elle est ouverte. Vous annoncez à haute voix, « Valve open ! » Ensuite, tout en regardant toujours la vanne, vous reculez votre main droite, pointez la vanne de manière exagérée et annoncez, « OK ! » La théorie est que le fait d’entendre votre propre voix et d’engager les muscles de la bouche et du bras stimule votre cerveau, ce qui vous rend plus alerte.

Bien que peu connu en dehors du Japon, le Shinsa Kanko a prouvé son efficacité. Des études ont montré que l’utilisation conjointe du pointage et de l’appel réduit les erreurs de près de 85 %. Divers secteurs industriels au Japon ont largement adopté cette méthode, où elle est enseignée depuis les années 80 par l’Association Japonaise de Sécurité et de Santé au Travail (JISHA).

La diversité des interactions que j’ai pu observer et photographier souligne l’importance des cheminots dans la vie quotidienne des usagers. Le train s’avère une véritable institution au Japon. La présence dans les gares des passionnés (les « densha otakus »), ainsi que celle des simples curieux comme les familles qui « viennent regarder les trains », est régulière. Ces personnes ajoutent une couche d’humanité à mes clichés, enrichissent les scènes capturées et apportent profondeur et contexte à chaque vue.

Un regard très personnel

Ma profession de conducteur de train m’a permis de ressentir une certaine affinité avec mes collègues japonais. Cette compréhension a rendu mon travail de photographe plus fluide et, je crois, m’a aidé à mettre en image des moments significatifs et authentiques. Observer une relève de conducteurs, par exemple, n’était pas seulement une scène à capturer, mais un échange silencieux de savoir-faire et de respect. Chaque regard, chaque geste, chaque interaction m’était familier, et créait un lien invisible.

Mon intérêt n’était pas celui d’un simple spectateur, mais celui d’un collègue, d’un pair. Cette perspective m’a permis de faire des images qui vont au-delà de l’apparence des choses. Elles révèlent la profondeur et la complexité du travail. Que ce soit lors des opérations quotidiennes ou des rituels de sécurité, chaque moment immortalisé reflète cette affinité et cette compréhension réciproque. Les cheminots partagent un langage universel, une série de codes et de gestes que seuls ceux de l’activité peuvent pleinement appréhender et apprécier.

J’ai cherché à rendre hommage au travail des cheminots japonais et à leur contribution essentielle au bon fonctionnement des chemins de fer. À quelques reprises, je crois avoir même réussi à enregistrer « l’âme » des individus. Dans ces cas-là, les portraits transcendent la simple représentation documentaire d’un métier. Ils révèlent des aspects plus profonds d’humanité et d’engagement. Ces moments particuliers, où l’on peut voir le professionnalisme et la détermination dans les regards, ajoutent une dimension humaine unique à mes clichés. Ils montrent que le système ferroviaire japonais ne se résume pas à une mécanique bien huilée, mais qu’il est animé par des personnes dévouées. J’espère partager avec vous cette profondeur et cette humanité à travers cette série de photos, car elles illustrent ce qui rend l’univers des chemins de fer japonais si fascinant et singulier.

Je crois en une transparence totale en ce qui concerne mes pratiques de modification d’images. Pour certaines photographies présentes sur ce site, j’ai utilisé la fonction Generative Fill d’Adobe Photoshop. Cette fonctionnalité me permet de transformer les photos en ajustant le format, en ajoutant ou en supprimant des éléments de manière créative. En incluant la notation [AdGF] dans mes légendes, je vous informe que j’ai recouru au Generative Fill pour cette image.

Utilisation des clichés de cet article

Sauf mention particulière, les photographies de ce site sont sous licence Creative Commons BY-NC-ND. Cela signifie que vous pouvez librement utiliser ces photos pour votre blog, votre site ou les lier vers un sujet de forum du moment que vous mentionnez mon nom et qu’il s’agit d’une exploitation non commerciale. Dans les autres cas, veuillez me contacter par l’intermédiaire du formulaire de contact. Plus de détails sur Creative Commons France.

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