L’univers des chemins de fer en textes et en images, de jour ou de nuit, vu du sol ou depuis les airs

Découvrir O. Winston Link en 2022

Quand je partage mes photographies de nuit prises au flash, j’ai parfois droit à des commentaires particuliers. « Tes photos ressemblent à celles de ce photographe américain. » Ou bien « Tu es le Winston Link français. » Alors non, je ne suis pas du tout l’incarnation française de cet artiste ! Nos démarches sont différentes. Et surtout, qui suis-je pour imaginer me comparer à ce pionnier de la photographie au flash ?

Dans ce billet, je vous présente brièvement Link et son approche. Ensuite, je vous propose des ressources pour découvrir son œuvre en 2022. Vous pourrez réaliser l’être hors du commun qu’il était et qui ne sera jamais égalé.

O. Winston Link (1914-2001)

Ogle Winston Link est un artiste américain qui a vécu sur la côte est des États-Unis. Après avoir terminé des études pour devenir ingénieur en 1937, il découvre la photographie de façon imprévue. En pur autodidacte, il emploie ses connaissances techniques acquises à l’école pour perfectionner les éclairages artificiels existants à l’époque. Il va ensuite les utiliser pour faire de la photographie commerciale son gagne-pain. Outillages industriels, intérieurs de laboratoire ou mises en scène de produits seront ses principaux sujets tout au long de sa carrière.

Le hasard va continuer de marquer la vie photographique de Link. Après une séance à mettre en image des climatiseurs, il se retrouve en gare de Waynesboro, en Virginie. L’ambiance particulière le séduit. Il décide d’utiliser deux flashes, faits maison, et immortalise un train du Norfolk & Western Railroad (N&W). Et comme il lui reste du temps avant de repartir en direction de New York, où se trouve son domicile, il photographie l’ordinaire des cheminots qui s’affairent. Nous sommes au début des années cinquante et les gares fourmillent de personnels en tout genre qui font tourner la machine ferroviaire.

Une fois les clichés tirés, Link est très content du résultat. Il contacte la direction du N&W pour lui demander l’autorisation de reprendre ce genre d’images à d’autres endroits du réseau. Cette dernière donne son accord, tout en précisant qu’elle n’octroierait aucun financement. Link commence alors l’œuvre de toute une vie : immortaliser les ultimes circulations vapeur de cette compagnie de l’est des États-Unis. Il s’emploie à cette tâche pendant cinq années consécutives (jusqu’à la disparition complète des locomotives de ce type). Et si, aujourd’hui, cette démarche est toujours hors du commun, c’est parce que la majeure partie de ses photos ont été faites la nuit. Les sujets, souvent mis en scène, étaient éclairés par de puissantes lumières de sa fabrication.

Une démarche unique

Tout était préparé aux millimètres et à la seconde près. Sa formation d’ingénieur lui a permis de calculer au plus juste la disposition des flashes et la quantité de lumière nécessaire. Au total, il prendra environ 2400 images de 1950 à 1955.

Link n’était pas un « railfan » (passionné des chemins de fer) à proprement parler. Pour lui, tirer le portrait d’une locomotive seule, sans présence humaine, s’apparentait à de la photographie d’outillage ! Il était conscient que son pays vivait une époque charnière. Avec la fin de la traction vapeur, tout un plan de l’économie américaine allait disparaître, emportant avec elle des communautés établies depuis longtemps dans des endroits isolés.

Même si la plupart des clichés sont des mises en scène, il a immortalisé la vie de tous les jours de l’américain moyen. En parcourant les prises de vue, on découvre des enfants qui jouent dans une rivière ou bien l’abondance d’un magasin général au fin fond d’une campagne perdue. Parfois, le photographe nous convie dans l’intimité d’un salon cosy ou dans une petite ferme à l’heure de la sortie des vaches. Je vous invite à regarder la dernière vidéo citée en fin de billet pour apprécier l’attachement de Link à cette Amérique-là. Et je vous rappelle que tout ce projet s’est fait sur ses fonds propres !

Link avait un don : celui de pouvoir imaginer, visualiser le rendu définitif d’une composition nocturne éclairée par ses soins

Au-delà de son talent pour mettre en scène la vie quotidienne, Link avait un don : celui de pouvoir imaginer, visualiser le rendu définitif d’une composition nocturne éclairée par ses soins. Il préparait longuement le placement de ses lumières, calculait la quantité d’énergie nécessaire. La maîtrise des détails était telle que les ampoules utilisées étaient fabriquées sur mesure et à usage unique ! Cette démarche qui frise la perfection explique en partie l’intérêt des clichés qu’il a produit. Celles et ceux qui s’essayent à la photographie au flash, de nuit ou pas, savent combien se représenter l’aspect final d’une création est difficile. Au-delà de la qualité des cadrages et des thèmes choisis, je considère cet « instinct esthétique » comme le véritable trait de génie de Link.

Vous comprendrez à la lecture de ce rapide résumé de sa vie de photographe que personne ne peut se comparer à Link et à son œuvre. Ce qu’il a fait est et restera unique.

Ressources

Je vous suggère de découvrir trois vidéos qui vous permettront d’embrasser le travail de Link, mais aussi de mieux saisir sa démarche. C’est en anglais, mais grâce à la traduction en direct de YouTube, celles et ceux qui ne sont pas à l’aise avec la langue de Shakespeare pourront comprendre l’essentiel des propos tenus.

Trains That Passed in the Night: The Railroad Photographs of O. Winston Link
La première vidéo est celle qui m’a donné l’idée et l’envie d’écrire ce billet. Elle est produite par le Center for Railroad Photography and Art (CRPA). Thomas Garver y présente la vie et l’œuvre du photographe américain. On découvre de nombreuses images du Norfolk & Western Railroad de façon plutôt originale. En effet, T. Garver est l’ancien assistant devenu agent de Link. Il est également conservateur et fondateur du O. Winston Link Museum, à Roanoke, en Virginie-Occidentale. Le mot d’ordre de cette conférence est « behind the photographs » (dans les coulisses des photographies). Vous en saurez plus sur la démarche de Link à grand renfort d’anecdotes et d’histoires amusantes.

O Winston Link documentary Trains That Passed In The Night
La deuxième vidéo est un film tourné dans les années 80. C’est un long entretien avec Link en personne. Vous pourrez donc voir et entendre l’artiste, mais également ses assistants ou même des individus qui figurent sur certains clichés. Nous parcourons certains lieux de prise de vue et le maître en personne nous explique toute la partie technique de son travail. Cette vidéo contient aussi des plans que Link a lui-même filmés. Cela donne un résultat très immersif qui permet de se rendre compte à quoi ressemblait le monde en voie de disparition que Link a immortalisé au travers de ses images.

O. Winston Link — Dreams In Steam
Pour finir, je vous propose de regarder un documentaire vidéo qui a été produit pour l’O. Winston Link Museum par Steve Stinson. Stephanie Klein Davis est photographe et professeure de photographie à Roanoke. Elle nous présente sa réflexion de technicienne de l’image sur les méthodes de prise de vue ainsi que les règles de développement utilisées par Link. Ici, vous découvrirez une approche plus « photographique » sur la démarche d’artiste. De nombreux clichés sont montrés dans ce film d’une trentaine de minutes.

Deux livres sont indispensables si vous appréciez la démarche de Link, les photographies ferroviaires nocturnes ou même le visage d’une Amérique aujourd’hui disparue.

Steam, Steel, and Stars: America’s Last Steam Railroad
Harry N. Abrams, 1994
Les photos qui illustrent ce billet sont extraites de ce livre. Toute personne intéressée du travail de Link se doit de posséder cet ouvrage. Il reprend l’essentiel des clichés nocturnes de l’artiste. On ne trouvera cependant que peu d’information sur l’histoire de Link. On peut regretter que la qualité des reproductions des images ne soit pas optimum. Des copies d’occasion de ce livre existent en nombre et à bon prix.

O. Winston Link : life along the line
Abrams ; Har/Com, 2015
Ce livre est le plus récent publié. Il présente l’ensemble de l’œuvre de Link, de jour comme de nuit. Ici, on s’intéresse vraiment à l’artiste et à sa carrière. Les reproductions sont d’excellente qualité. Au moment d’écrire ces lignes (été 2022), cet ouvrage est assez difficile à trouver à un prix raisonnable.

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