Quand j’ai commencé la photographie ferroviaire, j’ai eu la chance d’être conseillé et encadré par plusieurs photographes établis. Les magazines vivaient alors leur âge d’or. Avoir une de mes images publiées dans « Voies Ferrées » était un rêve. À un moment donné, j’en avais même fait un objectif à atteindre.
Wedgies made in France
Mais ce désir avait un prix à payer. Mes mentors m’ont vite fait comprendre les caractéristiques que devaient avoir mes clichés pour être édités. J’apprendrai des années plus tard que les Américains ont un mot pour qualifier cela : un « wedgie ». Ce terme désigne la mise en image d’un train sous un angle de trois quarts, au soleil (celui-ci étant dans le dos du photographe) et où la livrée et la numérotation du matériel sont facilement identifiables.
Une autre règle (non dite) concernait la focale des objectifs utilisés. Le 50 mm était plébiscité. D’abord parce qu’il était le meilleur rapport qualité-prix pour une grande ouverture (objectif lumineux). Ensuite comme cette longueur focale est censée représenter ce que l’œil voit, les lecteurs ne sont pas dérangés et reconnaissent le sujet aisément.
Influences américaines
Mes premières rencontres avec des images prises avec de longues focales se sont faites au cours de mes premières lectures d’articles de magazines d’Amérique du Nord. J’ai ainsi découvert Ted Benson. Cet auteur a révolutionné la photo ferroviaire outre-Atlantique en employant des méthodes issues du photojournalisme. Les illustrations étaient alors utilisées pour raconter des histoires et servir de complément au texte. Pour se faire, Benson a beaucoup recouru à des téléobjectifs.
Les photos produites avec de longues focales permettent au lecteur de se rapprocher du sujet, d’entrer dans son intimité. En soignant le cadrage, on peut même avoir la sensation de pouvoir toucher les locomotives ou les wagons. Autre facteur, l’écrasement des perspectives fait ressortir l’impression de puissance de la machine ferroviaire. Une perception accentuée si le photographe est légèrement en contre-plongée. Les longues focales (au-delà de 70 mm) offrent également la possibilité de combiner des éléments de composition souvent éloignés. L’auteur peut alors écrire une histoire à chaque cliché !
Voici un exemple de compression du contenu que permet un téléobjectif. Nous sommes à Dombasle-sur-Meurthe, au Km 368 de la ligne classique qui relie Paris à Strasbourg. La richesse économique de cette ville vient de l’entreprise Solvay, qui est établie ici depuis 1873. Elle fabrique des dérivés à partir du sel, des produits qu’elle expédie en partie par le rail. La gare, l’usine et le train sont réunis dans un seul cliché. La longue focale permet d’apprécier des détails des bâtiments industriels tout en faisant la part belle à cet EAD (élément automoteur diesel) en version rouge et crème. Ce type de matériel a assuré la desserte de Saint-Dié et Épinal jusqu’à l’électrification des lignes vosgiennes.
Premiers pas en France
J’ai acquis mon premier zoom 70-200 en prévision d’un périple dans le Minnesota, sur les terres du Duluth, Missabe & Iron Range. Je souhaitais faire, moi aussi, ces clichés puissants des revues américaines. Malheureusement, l’objectif d’occasion acheté (un Cosina) m’a déçu tellement son optique était mauvaise. Malgré des photos discutables au niveau de la qualité, j’avais débuté un nouveau style d’image.
En décembre 2022, j’ai cherché des photographies d’un voyage à Cajon Pass (en Californie) en 2005 pour illustrer un billet et une story Instagram. En feuilletant mes classeurs de diapositives, je me suis rendu compte que j’avais commencé au même moment à expérimenter ces longues focales sur mes terres de chasses traditionnelles, en Lorraine. J’ai alors exploité des coins-photos inhabituels. Et je dois avouer que ces premiers essais sont restés sans suite pendant plusieurs mois. Je pense que notre réseau, essentiellement électrifié, ne favorise pas ce genre de cadrage.
Je me suis dit qu’il serait intéressant de partager ces débuts avec vous. D’abord parce que les trains illustrés ne sont plus que souvenirs. En 2005, l’arrivée du TGV Est était encore lointaine et les rames tractées dominaient les relations au départ de Paris-Est. Ensuite, ces clichés montrent comment s’inspirer de ce qui se fait ailleurs et tenter de les adapter chez nous ou à notre style. Tout est question d’appropriation et de recherche personnelle.
Utilisation des clichés de cet article
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