La gare de Clapham Junction est située dans la banlieue sud de Londres, à la convergence de plusieurs lignes ferroviaires dont les principales ont comme origines Londres — Victoria et Londres-Waterloo. Trois compagnies distinctes assurent les dessertes : Southern, South Western Railway et London Overground. Les rames du Gatwick Express passent sans marquer l’arrêt. En moyenne, cent vingt trains circulent chaque heure. En période de pointe, ce chiffre monte à cent quatre-vingts ! Clapham Junction détient d’ailleurs le titre de « gare la plus fréquentée d’Europe en nombre de trains (y compris sans arrêt) ».
Mais ce qui rend Clapham encore plus incroyable pour le passionné continental que je suis, c’est que la quasi-totalité des circulations est alimentée en énergie électrique grâce à un troisième rail. Ici, les caténaires ou les poteaux disgracieux ne gênent pas le photographe. De plus, la gare fait partie de la zone tarifaire 2. Son accès depuis le centre de Londres est rapide et peu coûteux. Clapham Junction est donc un de mes endroits préférés de la capitale britannique pour faire de la photo de train. En 2020, j’y ai même commencé un projet qui avait pour but de dresser le portrait du milieu ferroviaire londonien d’une façon générale. Cette entreprise n’a malheureusement pas abouti à cause de la crise de la COVID-19 et des confinements successifs.
Une atmosphère créative
Il existe des lieux où je « sens » la présence d’un fort potentiel créatif. Le secteur de la gare de Clapham Junction est un de ces endroits. Ce ressenti particulier s’explique peut-être par un « déracinement culturel ». Tout ici « crie » le Royaume-Uni : l’univers ferroviaire, bien sûr, avec cette abondance d’automotrices alimentées par un troisième rail (un cas unique au monde pour une exploitation à cette échelle). Et puis, il y a les habitations en briques sales, la présence d’un dépôt de bus rouges à deux étages et même un collège privé (avec tout l’imaginaire qui va avec : les uniformes des élèves, le jardin et les bâtiments dignes d’un film d’Harry Potter).
l’absence de caténaires, qui enferment la voie ferrée et les trains, donne un sentiment de liberté en transformant chaque endroit avec vue sur les rails en un potentiel coin photo
Tout est inhabituel et les sens du photographe sont exacerbés. Nous sommes à quelques heures de Paris à peine, et les impressions sont celles d’un continent lointain. Et puis l’absence de caténaires, qui enferment la voie ferrée et les trains, donne un sentiment de liberté en transformant chaque endroit avec vue sur les rails en un potentiel coin photo. Plus besoin de jouer avec la multiplicité des ombres ou trouver l’angle idéal pour placer correctement un train entre des poteaux. Les possibilités sont nombreuses et faciles.
Clapham expérimental
Ma visite de ce mois d’août 2022 n’avait pas qu’un but touristique. Je souhaitais travailler ma créativité photographique selon deux axes principaux. Le premier était le thème du flou (et son contraste par rapport au net) et le second, une recherche d’inclusion plus importante de la végétation dans mes clichés ferroviaires. Vous apprendrez un peu plus loin dans ce texte que ces deux axes de réflexion n’étaient pas le fruit du hasard.
Le flou dans la photographie ferroviaire est un thème qui me passionne depuis plusieurs années déjà. Le flou est généralement synonyme de mouvement, et ce dernier est l’essence même de l’univers des chemins de fer. Son absence est d’ailleurs un indice de dysfonctionnement. Dans cette série, j’ai choisi de travailler le flou-filé sous de multiples formes. Je me suis efforcé à suivre les trains avec poses à très faible vitesse (jusqu’à 1/10 s). De l’extérieur, mon allure devait ressembler à celle d’un danseur et les passants m’ont probablement pris pour un photographe excentrique ! Cet exercice m’a permis de réaliser que les lettres, chiffres ou mots ressortaient amplifiés dans le cliché final. C’est le cas de la livrée la plus récente des rames de la South Western Railway qui comprend un gros logo SWR. Le choix d’en décorer les flancs des automotrices est vraiment intelligent, car l’impact visuel est fort.
Les premières fois que j’ai regardé des images de train réalisées par des artistes japonais, j’ai été frappé par la présence de la végétation. Fleurs, arbres et forêts constituent des décors de choix. J’ai cherché à en savoir plus et à comprendre cette démarche. L’été 2022 a été marqué par la lecture du livre « la belle photographie de paysage ferroviaire (極上の鉄道風景写真術) » de Hirokazu Nagane. L’auteur y présente des « recettes » et différents thèmes. Et quoi de plus formateur que de reproduire, ou plutôt interpréter à ma façon de telles images ?
Les exemples que vous allez découvrir sur ce sujet sont les tout premiers que je produis. Ils manquent de force et d’originalité. Ils manquent surtout de ma « patte ». Ils ne sont, après tout, que des applications de techniques apprises lors de mes recherches. Je suis dans le processus d’assimilation du concept, et de sa traduction dans mes photos. Comment ce thème peut-il apporter quelque chose dans ma manière de faire des images de train ? Peut-on considérer que, dans certains cas, cela ajoute de la « plus-value » au cliché final ? Beaucoup de choses m’échappent encore. La route de l’apprentissage sera longue et faite d’essais et d’erreurs. Vous avez devant les yeux mes premiers pas et je demande votre indulgence !
Mes lectures sur l’approche japonaise de la photographie ferroviaire m’ont aussi donné des pistes d’exploration sur le flou-filé. Je n’aurais pas pu concevoir certaines des images présentées ici il y a quelques mois seulement.
Enfin, un dernier point qui est moins évident à appréhender visuellement : je travaille le recadrage. Je cherche de nouvelles compositions dans la production originale en choisissant des rapports et orientations inhabituelles. Le photographe animalier Vincent Munier est très inspirant sur ce sujet.
De retour de Clapham Junction, j’avais 700 photos sur ma carte mémoire. J’ai donc fait un premier tri qui consistait à supprimer les « déchets », les vues ratées ou sans intérêt. J’ai réduit le nombre total à 300. À la fin de ce billet, vous pourrez découvrir le premier travail de post-traitement à chaud de cette récolte. Je vais maintenant abandonner toute cette production et laisser le temps « digérer » tout cela. Je m’y pencherai de nouveau dans quelques mois, ou même dans plusieurs années, pour exhumer mes images sans les souvenirs émotionnels qui les habitaient juste après leur réalisation.
Note : un autre billet sur cette ville britannique est disponible sur ce blogue – Un soir à Clapham Junction
Utilisation des clichés de cet article
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