En triant des fichiers oubliés sur mon disque dur, je suis tombé sur l’ébauche d’un article écrit en 2016 pour le site « Les Trains qui passent ». J’ai décidé de le revisiter et de l’améliorer en y ajoutant du nouveau contenu ainsi que quelques diapositives numérisées spécialement pour l’occasion. Cet article est une collection d’anecdotes d’un cheminot voyageur et d’un photographe parfois égaré aux abords des rails.
Originaire de Lorraine et travaillant à Paris, j’ai passé plus de dix ans à me déplacer de Nancy à Paris par la ligne « classique », aussi connue sous le nom de « ligne 1 ». Cet itinéraire est tombé en désuétude avec l’arrivée du TGV Est en juin 2007. Huit ans plus tard, des opérations de maintenance lourdes ont engendré des ajustements d’horaires qui m’ont ramené sur ce parcours. Et c’est incroyable de voir à quel point un voyage en train peut raviver tant de souvenirs !
La ligne 1 comme chemin des écoliers
Un samedi de mars 2015, j’ai décidé de retourner à Nancy en empruntant le « chemin des écoliers ». Autrement dit, j’ai laissé de côté le trajet rapide en TGV et utilisé le train dit « classique ». La modification de l’horaire de mon TGV direct, due à des travaux, m’a obligé à faire un détour par Bar-le-Duc via la LGV. Les connaisseurs de la ligne Paris-Strasbourg remarqueront que certains passages emblématiques, comme la traversée de la vallée de la Marne avant Château-Thierry, sont absents de ce récit. Une fois arrivé à Bar-le-Duc, j’ai emprunté un TER pour achever mon périple.
Avec le regard perdu dans les paysages, des souvenirs de mes nombreux trajets à bord des rames Corail avant l’ouverture de la LGV sont remontés à la surface. Ces déplacements de deux heures quarante-cinq à trois heures étaient souvent remplis de surprises et parfois même d’aventures. Ce retour à un parcours plus lent m’a également rappelé les détails des sorties photo, à une époque où la diversité des matériels voyageurs et marchandises était réelle.
Aujourd’hui, il est difficile de se rendre compte de cette variété et des opportunités qu’elle proposait aux photographes. À cette époque, les abords des voies étaient bien entretenus et dépourvus de grillages, offrant ainsi de nombreuses possibilités à toute heure de la journée.
Je vous invite donc à un voyage dans le temps, de Châlons-en-Champagne à Nancy, à travers des images et des textes.
Châlons-en-Champagne, kilomètre 172,2
Voilà une ville que j’ai connue sous le nom de Châlons-sur-Marne. Je m’y suis rarement arrêté, si ce n’est quelques minutes quand j’empruntais un omnibus… ou lorsque les cheminots en grève du dépôt local égayaient le trajet en plaçant des pétards sur les rails !
Pour moi, cette ville évoque surtout les fameux trains de permissionnaires, surnommés affectueusement les « trains de gueulards » par un ami conducteur au dépôt de Paris-Est. À une époque où le service militaire était obligatoire et la SNCF un pilier du service public, une quinzaine de trains spéciaux circulaient chaque vendredi et dans la nuit de dimanche à lundi. Ces circulations permettaient aux jeunes soldats de rejoindre les garnisons dispersées dans tout l’Est du pays ainsi qu’en Allemagne. Châlons-sur-Marne était alors un nœud ferroviaire crucial à cause de la proximité de casernes telles que Verdun, Mourmelon et Suippes.
Ces trains sont à l’origine de nombreuses anecdotes pittoresques, les conducteurs du réseau Est en avaient toujours une bonne à raconter ! Une des plus mémorables concernait un convoi revenant d’Allemagne, avec des permissionnaires passablement éméchés qui avaient causé des ravages : rideaux arrachés, banquettes démontées et jetées par les fenêtres. Face à cette situation, la régulation a dû appeler les autorités militaires. À l’arrivée à Paris-Est, des gendarmes ont empêché quiconque de descendre, y compris les gradés. Une BB15000 s’est placée en queue de train et… retour express en Allemagne ! Ce trajet fut, paraît-il, beaucoup plus calme !
Pour limiter les dépenses, la SNCF équipait ces rames de matériel ancien (USI ou UIC). Lors de mes voyages, j’ai été témoin d’une autre tradition : les appelés jetaient leurs vêtements militaires (t-shirts kaki, joggings bleus) quand ils étaient libérés. Le quai de la voie 2 de la gare de Châlons-en-Champagne se transformait alors en véritable friperie militaire tous les deux mois !
En tant que photographe, les vendredis étaient particulièrement animés avec une hausse notable des circulations. C’était bien avant l’ouverture de la LGV. Il suffisait de se placer sur la côte de Loxéville, par exemple, pour assister à un défilé de rames tractées par une variété de locomotives : BB15000, 22 200, 26 000, et même parfois des 16500 ! Les trains réguliers étaient renforcés pour l’occasion. La fin du service national obligatoire en 1997 a marqué la disparition de ces trains, mettant un terme à cette époque vibrante et colorée des chemins de fer français.
Souvenir d'un été intense
La prochaine grande gare où les trains omnibus marquaient un arrêt était Vitry-le-François. Cette gare imposante, avec son vaste plan de voies, laissait deviner l’ancien dépôt ferroviaire sur la droite en arrivant de Paris.
Mes souvenirs de Vitry-le-François sont remplis d’images de manœuvres peu conventionnelles, notamment autour des silos proches de la gare. Un jour, j’ai été témoin d’une scène surprenante : une pelleteuse tirait un wagon de céréales à l’aide… d’une simple corde ! Les employés de ce client embranché ne manquaient certainement pas d’audace ni de créativité.
L’été 2000 fut une période particulièrement animée pour la gare de Vitry-le-François. L’activité se concentra surtout autour du faisceau marchandises, situé à proximité immédiate des quais. Deux mois durant, des travaux majeurs interrompirent l’axe Toul — Chalindrey. La gestion ferroviaire de l’époque différait beaucoup de ce qu’on connaît aujourd’hui. Plutôt que de simplement supprimer le trafic, on optait pour des détournements. Ainsi, les trains de marchandises en provenance d’Allemagne ou du triage de Woippy, et à destination du sud de la France étaient acheminés en traction électrique jusqu’à Vitry. À leur arrivée, les locomotives électriques étaient mises en véhicule, et des machines diesel (A1A 68000, BB66400 ou même BB72000) prenaient le relais pour les mener jusqu’à Culmont-Chalindrey. Là, les locomotives électriques reprenaient du service pour achever le voyage. Pendant cette période, la gare champenoise a connu une véritable danse des locomotives, avec des mises en tête et des changements incessants.
Lors de mon passage en 2015, le faisceau de manœuvres n’était plus qu’un champ envahi par les herbes folles
Le terminus du « Longuet Express »
Gérard Longuet, ancien député de la Meuse, est devenu Président du Conseil Général de Lorraine en 1992, poste qu’il a occupé pendant plus de douze ans. Originaire des environs de Révigny-sur-Ornain, une commune située à la frontière de la Lorraine et de la Champagne, il est souvent crédité de la mise en route d’un TER entre Revigny et Nancy. Légende ou réalité ? Quoi qu’il en soit, ce train a été surnommé le « Longuet Express » durant sa période en rame tractée.
La gare de Révigny a joué un rôle crucial dans le réseau ferroviaire régional, avec plusieurs lignes importantes qui l’ont desservie au fil des années. En 1866, l’inauguration de la ligne Châlons-en-Champagne — Nancy a renforcé la position de Révigny comme un nœud ferroviaire clé, facilitant les déplacements et le transport de marchandises dans l’est de la France. En 1882, une ligne secondaire vers Amagne-Lucquy (puis Hirson) a été mise en service intégralement. Il s’agissait d’une liaison « d’arrière-front », destinée à assurer le déplacement rapide des troupes entre différents points des zones de combat. Pour cette raison, elle était équipée de doubles voies ! Elle a porté le numéro 6 dans la classification de la Compagnie de l’Est. Après la Seconde guerre, cet axe a continué à répondre aux besoins de transport locaux avant de fermer au trafic dans les années 1970 en raison de la diminution du trafic.
La gare de Révigny était également connectée à St-Dizier (et même Sens) par une ligne inaugurée en 1885 (ligne 26-7). Cette relation facilitait le transport des produits agricoles et industriels entre la Meuse et la Haute-Marne. Cependant, comme de nombreuses liaisons secondaires de l’époque, elle a subi une baisse de trafic au cours du XXe siècle, en raison de la concurrence des camions, et a été fermée définitivement en 1976.
Au niveau de Révigny, la ligne Paris — Strasbourg se dédouble pour encadrer un vaste faisceau, utilisé pour manœuvrer les wagons d’une usine Arcelor Mittal située à proximité. Lors de mes retours de Paris en soirée, il m’arrivait souvent de voir la locomotive du « Longuet Express » évoluer dans ce faisceau, tractant ses quatre ou cinq voitures. La machine, qu’il s’agisse d’une BB15000, d’une BB22200 ou même d’une BB26000, repartait ensuite à vide vers Nancy ou Metz, selon les modifications des roulements.
Ces scènes du quotidien ferroviaire sont empreintes de nostalgie et rappellent une époque où le chemin de fer jouait un rôle central dans la vie des régions. Le « Longuet Express » est un témoignage vivant de cette histoire, illustrant l’interconnexion entre les personnalités politiques locales et le développement des infrastructures ferroviaires.
Bar-le-Duc, terminus sous la superbe marquise
Bar-le-Duc marque le terminus de mon TGV, mais ce n’est que le début d’un nouveau chapitre de mon voyage. Un TER m’attend pour poursuivre l’aventure. Un AGC stationne depuis quelques heures sur la voie même où les directs Nancy – Paris passaient autrefois sans arrêt. Cela en dit long sur la torpeur dans laquelle est plongée la ligne 1 depuis la mise en service de la ligne à grande vitesse.
Je quitte donc l’intérieur moderne et coloré de ma rame TGV Réseau pour prendre place à côté d’une des larges vitres du train régional. Je choisis un siège à droite dans le sens de la marche, afin d’apprécier les paysages qui s’annoncent : de la Côte de Loxéville à la vallée de la Moselle, en passant par les berges pittoresques du Canal de la Marne au Rhin.
Peu après notre départ de la gare, le train traverse le Canal de la Marne au Rhin sur un pont, suivi de près par un passage à niveau. Ce dernier est tristement célèbre pour l’accident de Bar-le-Duc du 18 mars 1976, où une voiture s’était encastrée sous le bogie de la BB15011, entraînant tout le train dans les eaux du canal. Cet événement dramatique a conduit à l’ajout systématique d’étraves sur les BB 15000, ainsi que sur les 7200 et 22200, pour prévenir de tels accidents à l’avenir.
Nançois-Tronville, surveillance des trains en marche
Quelques kilomètres à peine après notre départ de Bar-le-Duc, nous arrivons à la gare de Nançois-Tronville. C’est ici que commence l’ascension de la célèbre Côte de Loxéville, une montée longue et régulière s’étendant sur une dizaine de kilomètres. À cet endroit, une voie « bis » se sépare de celle en provenance de Paris. Autrefois, cette voie lente permettait aux convois de marchandises d’être dépassés par les trains de voyageurs rapides. Aujourd’hui, cette section a été privatisée et louée à Alstom pour tester ses nouvelles rames et locomotives, une évolution marquée par l’installation de grillages peu esthétiques de part et d’autre de la voie.
Nançois-Tronville est également une gare de bifurcation avec une ligne à trafic restreint menant à Ligny-en-Barrois (ligne 24-3, qui atteignait Neufchâteau jusqu’à la fin des années 60). Sa position stratégique faisait que le bâtiment et le petit poste d’aiguillage situé dans la gare étaient encore en service avec un agent de circulation. Cet agent, visible lors du passage des trains, assurait la surveillance des trains en marche, vérifiant tout éventuel défaut.
Pour le jeune photographe ferroviaire que j’étais dans les années 90, cet employé était une source précieuse d’informations. À une époque où internet était réservé à quelques militaires, obtenir des renseignements fiables était un défi. Nombre de cheminots appréciaient mes visites et partageaient volontiers les prévisions de circulations. Grâce à eux, j’ai pu observer les mouvements des convois à destination des silos de Ligny-en-Barrois.
Aujourd’hui, la gare de Nançois-Tronville est fermée au service, et l’embranchement vers Ligny-en-Barrois n’est plus qu’un souvenir, disparaissant lentement sous les herbes hautes. Toutefois, une réactivation de cette ligne reste possible si le projet d’enfouissement de déchets radioactifs à Bure voit le jour.
La mythique Côte de Loxéville
La Côte de Loxéville est l’un des points emblématiques de la ligne classique Paris — Strasbourg, au même titre que la Vallée de la Marne, les Rives de la Moselle ou la Trouée de Saverne. Cette longue montée de 24 km présente une ascension régulière de 8 pour mille, suivie d’une descente de même dénivelé. À bord de mon TER, je savoure cette ascension tout comme je le faisais depuis l’Eurocity Mozart il y a plus de vingt ans. Le paysage des Côtes de Meuse défile devant mes yeux, avec ses reliefs arrondis, successivement couverts de forêts et de champs de céréales. Souvent, mon train de voyageurs doublait un lourd convoi de fret qui peinait à atteindre le sommet. Pour quelques instants magiques, les deux trains roulaient côte à côte, leurs rames épousant les courbes et contre-courbes dans un ballet harmonieux.
J’ai eu la chance de conduire un train sur ce site mythique. En accompagnant un collègue parisien à bord de la BB15030, en tête de l’EC65 Mozart, un train international à destination de Vienne (Autriche), j’ai vécu un moment inoubliable. La locomotive fournissait un bel effort, émettant ce sifflement caractéristique que les amateurs de BB15000 connaissent bien. Ces souvenirs sont gravés dans ma mémoire à jamais.
Pour les photographes ferroviaires, les endroits de prise de vue étaient rares, mais chaque visite dans le secteur était un véritable plaisir. Le soleil du matin permettait de capturer la batterie de « voraces » (les trains de voyageurs rapides) en provenance de Paris et à destination de Nancy, Metz ou Strasbourg, ainsi que vers l’Autriche et l’Allemagne. Durant l’âge d’or des rames tractées, j’ai eu la chance de mettre en image de nombreux convois originaux. En 1998, par exemple, des trains Paris — Bâle, tirés par les puissantes CC72000, ont délaissé leur ligne 4 habituelle en raison de travaux. Le chant de ces machines diesel qui résonnait dans la vallée était un véritable régal auditif. En 2006, j’ai assisté à un ballet de trains pour la finale de la Coupe de la Ligue, où l’équipe de football de Nancy était qualifiée. Cela ne se limitait pas aux seuls trains Corail : des rames VB2N de Paris-Nord et des RRR Lorraine furent mises à profit pour transporter les milliers de supporters vers la victoire de leur équipe !
Malheureusement, comme trop d’endroits intéressants, la Côte de Loxéville a perdu de son attrait. Le trafic s’est considérablement réduit, malgré l’apparition de compagnies ferroviaires privées, et la partie ouest de la ligne est défigurée par des grillages. Aujourd’hui, une sortie photo dans le secteur promet de longues heures d’attente…
Lérouville, gare d'arrêt général ?
Lérouville fait partie de ces villes inconnues du grand public et pourtant primordiale dans le réseau ferroviaire français. A l’instar de Blainville, Busigny, Mezidon ou Saincaise, la ville meusienne est une bifurcation qui a engendré un village puis une ville puis de nouveau un village au gré des évolutions ferroviaires. Ici, la ligne à destination de Metz se sépare de l’axe Paris-Strasbourg. Pendant de nombreuses années, Lérouville a accueilli un dépôt. Aujourd’hui, Europorte utilise les imposantes installations comme relais pour ses machines et ses trains.
A l’époque – qui commence a être lointaine – où les conducteurs de la SNCF pouvaient indifféremment conduire un train de voyageurs ou de marchandises, Lérouville avait uns assez mauvaise réputation. En effet, en cas de circulation en avance, c’est ici qu’étaient garés les trains pour être « remis à l’heure ». J’en ai fait l’amère expérience sur un train de ciment en provenance de Vaires-Sur-Marne. J’accompagnais un collègue pour une remise à niveau réglementaire. Et bien croyez moi, que Lérouville vers 2h30 du matin c’est assez … calme ! Nous n’avons vu passer aucun train. Juste les deux feux rouges du carré qui nous interdisait de reprendre notre marche. Comme disait l’allumeur de réverbères dans le Petit Prince de St-Exupéry : « Il n’y a rien à comprendre […]. La consigne c’est la consigne. Bonjour. » Il me reste donc en mémoire un quai déserté et le ronronnement des ventilateurs de la BB25100, entrecoupé du chant particulier des compresseurs compensant les pertes d’air de notre convoi. Plus de quinze années plus tard, ces images et ces sons sont présents dans ma mémoire comme si c’était hier !
Pagny-sur-Meuse : entre deux tunnels
Après Lérouville, la ligne 1 traverse la Commercy, quittant la vallée de la Meuse pour rejoindre celle de la Moselle. Cette transition est rendue possible grâce à deux tunnels impressionnants : le tunnel de Pagny (572 m) et le tunnel de Foug (1122 m). Entre ces deux ouvrages d’art, les trains marquent un arrêt à la gare de Pagny-sur-Meuse. Ce nom est bien connu des amateurs de fret ferroviaire. Deux carrières de calcaire situées à proximité engendrent un trafic quotidien avec deux allers-retours vers la banlieue de Nancy, plus à l’est. Ces convois, surnommés « trains de cailloux », se distinguent par leurs rames blanches uniformes. Ils ont été les derniers à être assurés de façon régulière par des BB12000. Depuis, diverses séries de locomotives électriques ou thermiques ont pris le relais. Aujourd’hui, ces trains existent toujours, tractés par des machines de l’opérateur Captrain.
Les carrières sont raccordées à une voie unique qui relie Pagny à Neufchâteau (ligne 24-7). En raison du profil de la ligne, les circulations s’effectuent par demi-rames. La gestion des mouvements sur cette section est assurée par l’agent-circulation de Pagny. Cette ligne a également la particularité d’avoir une courbe de faible rayon, ce qui a permis à un train d’essai TTL (Train Très Long) de faire des allers-retours au printemps 1999.
Lors de mes voyages entre Paris et Nancy, une anecdote marquante remonte à mes débuts à la SNCF, en 1997 ou 1998. J’étais à bord de l’Eurocity Mozart, qui s’est soudainement immobilisé en gare de Commercy. Après quelques minutes d’attente, le contrôleur nous a informés de la raison de cet arrêt : un train de travaux était en panne un peu plus loin, après l’usine de Sorcy. En tant que dégareur au dépôt de la Chapelle, j’avais l’habitude de pratiquer l’attelage et le dételage des machines. Ce jour-là, j’ai proposé mon aide au conducteur. Avec ma blouse, mes gants et mon expertise, nous avons déplacé le train de travaux jusqu’en gare de Pagny-sur-Meuse.
J’ai eu l’honneur de faire l’attelage entre la BB15000 et un wagon plat, suivi d’un essai de frein. Une fois arrivés dans le faisceau de Pagny, j’ai décroché la machine et nous sommes retournés sur la voie principale pour continuer notre route vers Nancy. Imaginez le spectacle vu de l’extérieur : la majestueuse rame orange du Mozart poussant un 63000 et quelques wagons plats remplis de terre. Cette expérience reste gravée dans ma mémoire, témoignant de l’esprit d’entraide qui régnait alors dans le monde ferroviaire.
Fin de notre promenade sur la ligne 1 Paris — Strasbourg
Notre promenade sur le chemin des écoliers, la ligne 1 Paris — Strasbourg, touche bientôt à sa fin, alors que nous approchons de Nancy. Avant d’atteindre la cité ducale, la voie ferrée traverse puis longe la Moselle par le sud. Les rails serpentent au pied de la forêt, se faufilant sur les quelques centaines de mètres de terre qui bordent le fleuve. Vu du train, le paysage est fabuleux, surtout au coucher du soleil. Sur l’autre rive, une falaise de calcaire supporte le village de Villey-St-Étienne, offrant un tableau saisissant.
Le long de la rivière, un sentier de randonnée permettait autrefois de profiter du paysage… et des trains. Malheureusement, je dois employer l’imparfait, car un grillage longe désormais les installations ferroviaires. Cela était quelque peu prévisible, vu l’affluence en été et les traversées de voie sauvages qui s’en suivaient.
Ainsi se termine ce texte consacré à notre promenade à travers les paysages et le temps. Plonger dans mes archives photographiques et dans ma mémoire m’a empli d’une certaine tristesse. Comme je l’avais évoqué dans un précédent billet, il ne s’agit pas de « cétémieuavantisme », mais bien d’une constatation amère sur la perte du savoir-faire ferroviaire dans notre pays. Le sentiment d’un immense gâchis est inévitable. Le cycle de fermeture des lignes, des gares et des dessertes a repris de plus belle au nom des économies fiscales. L’avenir est aux bus et à la concurrence, nous dit-on.
Depuis 2018, la région Grand Est fait circuler plusieurs allers-retours quotidiens en semaine entre Strasbourg et Paris dont certains en rame Corail. C’est une nouvelle opportunité de plonger dans les souvenirs… mais pour combien de temps encore ?
Utilisation des clichés de cet article
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